Résumé : De nombreux travaux scientifiques montrent les effets de l’action humaine dans l’émergence et la diffusion de maladies nouvelles ou ré-émergentes. Cependant, peu de ces travaux interrogent ces transformations dans le temps long afin de tenter de comprendre les liens de causalité entre les facteurs environnementaux et les maladies dans l’espace. Le cas de la thalassémie à Chypre fournit un cadre d’étude pertinent pour traiter de ces questions. L’île enregistre l'une des prévalences de thalassémie les plus élevées au monde. Or la thalassémie présente un avantage hétérozygote, ou un effet protecteur, sur les infections paludéennes au sein des populations. Ainsi, on observe que les incidences et les prévalences élevées de thalassémie sont enregistrées dans les régions où le paludisme est endémique depuis longtemps. À Chypre, le paludisme était une maladie répandue jusqu’en 1967, année où l’île a été officiellement déclarée exempte de cette maladie. Au début du 20e siècle, plus de 70 % des causes de décès étaient dues au paludisme, selon les rapports médicaux britanniques. Or cette période a vu se dérouler de grands changements environnementaux sur l’île (renforcement de l’irrigation, assèchement des zones palustres, urbanisation …) dans le cadre de la colonisation britannique. Dans ce contexte, interroger les interactions entre les changements environnementaux liés à l’éradication du paludisme et la distribution actuelle de la thalassémie constitue le point de départ de cette thèse. Le premier objectif de cette thèse est de reconstruire les étapes et les lieux de mise en place de la politique coloniale qui ont modifié les espaces du risque paludéen au cours de la colonisation. Un second objectif est de comprendre les variations spatiales de la thalassémie au cours des périodes récentes. Enfin, un troisième objectif est de prendre en compte les liens de causalité possibles entre les changements environnementaux issus des politiques coloniales, les mobilités et la distribution actuelle des porteurs de thalassémie.